5.Qualité des estuaires en tant que nourriceries

La contribution des nourriceries au recrutement au sein des stocks exploités d’individus adultes, ou ayant atteint la taille minimale de capture (i.e. devenus exploitables), dépend non seulement de la densité en juvéniles nés une année donnée, mais aussi de leurs taux de croissance et de survie.

Ces deux facteurs, fortement liés chez les poissons, ne sont optimaux que dans une gamme de conditions environnementales propres à chaque espèce, et les déviations par rapport à cette gamme vont avoir des conséquences directes et indirectes sur la croissance et la survie des individus.

De ce fait, les changements environnementaux et les activités anthropiques peuvent perturber le fonctionnement des nourriceries côtières, et tout particulièrement de celles se situant au sein des estuaires car ces espaces sont le réceptacle de l’ensemble des apports et rejets des bassins versants des fleuves.

Mesurer ces impacts potentiels dans le but d’évaluer la qualité des trois estuaires en tant que zones de nourriceries est une tâche complexe, demandant d’intégrer des données variées, issues de méthodes de collecte différentes, et nécessitant pour certaines une haute technicité (dosages chimiques complexes).

Entre 2019 et 2021, le projet NourDem s’est fixé comme objectif de commencer à étudier l’impact des différences dans les conditions environnementales et les niveaux de contamination entre les trois estuaires sur les paramètres physiologiques de juvéniles de bar (espèce retenue comme « sentinelle ») en s’attachant à déterminer :

  • S’il existe des différences de croissance et de condition corporelle entre les trois nourriceries (une « bonne » croissance donnant des indications sur la qualité de la zone en tant que nourricerie),
  • Si les poissons issus de ces nourriceries présentent des niveaux de cortisol qui diffèrent, et qui impactent leur croissance. Le cortisol est en effet une hormone de stress, s’accumulant dans les écailles, et dont les dosages renseignent sur les stress subis par les poissons tout au long de leur vie (analyses conduites sur les écailles de 735 juvéniles au total),
  • Et enfin si les poissons ont des niveaux de contamination chimique qui différent dans les trois estuaires, et qui influencent leur croissance. Pour cela, des dosages de micropolluants majeurs ont été réalisés sur des échantillons de jeunes bars (105 juvéniles au total, tous du groupe 1) prélevés dans les trois estuaires. Les polluants retenus ont été des PCB (polychlorobiphényles), des OCP (pesticides organochlorés), des retardateurs de flammes (incluant des « émergents », c’est-à-dire des molécules qui ne sont utilisées que depuis peu), des PFAS (substances perfluorées), et des éléments trace métalliques (arsenic, cobalt, chrome, cuivre, fer, manganèse, molybdène, vanadium, zinc, argent, cadmium, mercure, plomb, plus 14 éléments de la famille des « terres rares » comme le lanthane, le cérium, le praséodyme, le samarium…

 

L’ensemble des résultats obtenus est présenté dans le rapport final du projet (téléchargeable ICI), et a fait l’objet d’une publication scientifique dans la revue Aquatic toxicology :

Lebigre C, Aminot Y, Munschy C, Drogou M, Le Goff R, Briant N, Chouvelon T (2022). Trace metal elements and organic contaminants are differently related to the growth and body condition of wild European sea bass juveniles. Aquatic Toxicology, 248, 106207.

Téléchargeable ici : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0166445X22001333

 

En résumé, les principales conclusions sont :

  • Qu’il existe des différences de croissance chez les juvéniles de bar entre les trois estuaires, la croissance la plus rapide étant enregistrée dans l’estuaire de la Loire,
  • Les dosages de cortisol réalisés dans les écailles ont révélé des différences interannuelles très nettes, et synchrones, au sein des trois nourriceries, probablement liées aux canicules des étés 2018 et 2019, et entrainant une diminution de la croissance des juvéniles de bars les plus stressés (quel que soit l’estuaire).
  • Enfin les contaminations chimiques apparaissent très différentes entre les trois estuaires, mais présentent au final des impacts assez proches : les éléments trace métalliques génèrent des effets négatifs, à la fois sur la croissance des juvéniles de bar (ce qui apparait plus particulièrement en Gironde et en Seine, un peu moins en Loire ; Cf. figure), et sur leur condition corporelle (l’effet apparait commun aux trois estuaires). Quant aux contaminants organiques, les premières investigations montrent qu’ils semblent ne présenter d’impact que sur la condition corporelle des juvéniles (âge 1), et apparemment pas sur la croissance.

En conclusion, il convient cependant de noter qu’il s’agit là de résultats préliminaires :  d’autres analyses sont en cours, conduites dans le cadre du projet NourDem 2022, visant à mesurer l’ampleur des bioaccumulations et effets à plus longs termes, en réalisant des analyses sur des individus plus âgés.