2.Indices de peuplement

Les indices de peuplement sont également qualifiés d’indices de communauté car ils prennent en compte l’ensemble des individus présents sur le domaine étudié, de manière globale, sans distinguer les différentes espèces. L’Ifremer a développé depuis le début des année 2000 la chaine de traitement RSUFI qui permet, à partir des données des campagnes halieutiques, de produire différents indices de communauté dont les 7 suivants qui nous intéressent directement :

Abondance totale dans la zone : estimation du nombre total de tous les poissons et grands invertébrés de la zone (RSUFI permet également de distinguer les abondances globales des « poissons », des « céphalopodes », des « crustacés »…).

Biomasse totale dans la zone : estimation de la biomasse totale (kg) de tous les poissons et grands invertébrés de la zone.

Indice de diversité Delta : cet indice de biodiversité exprime la probabilité que deux individus pris aléatoirement dans la communauté appartiennent à deux espèces différentes. Delta est sensible à la richesse spécifique et à l’équitabilité des abondances des espèces.

Taille moyenne au sein de la communauté : il s’agit de la taille moyenne (en cm) calculée à partir des mensurations de tous les poissons et grands invertébrés, toutes espèces cumulées, ou par grande « classe » d’espèces. Une taille moyenne qui augmente résulte soit d’une augmentation du nombre des grands individus, soit d’une diminution du nombre des petits. Les changements de taille moyenne du peuplement résultent donc à la fois des changements de taille moyenne au sein de chaque espèce et des abondances respectives des différentes espèces. Un défaut de cet indicateur apparaît quand la longueur moyenne d'une espèce dominante dans le peuplement varie fortement. Dans ce cas, l'indicateur risque de ne représenter que cette variation.

Poids moyen des individus : il s’agit du poids moyen (kg) de tous les poissons et grands invertébrés constituant la communauté. Les variations de cet indicateur reflètent soit des changements démographiques ou de croissance dans les espèces, soit des variations de la composition spécifique. Cet indicateur a tendance à suivre les fluctuations des espèces les plus abondantes.

Moyenne des poids moyens par espèce : il ne s’agit pas du poids moyen de l’ensemble des individus (c’est l’indicateur précédent), mais de la moyenne des poids moyens obtenus pour chacune des espèces. Les variations de cet indicateur reflètent soit des changements démographiques ou de croissance dans les espèces, soit des variations de la composition spécifique. Cet indicateur a tendance à suivre les fluctuations de la plupart des espèces et pas uniquement celles des espèces dominantes.

Proportions d’individus dont la taille est > à 10, ou 15… cm : ces indicateurs permettent de vérifier si, globalement, les tailles moyennes au sein du peuplement (ou par grandes « classes » d’espèces, du type « poissons et agnathes », « crustacés », « échinodermes » …) sont stables ou évoluent, et dans quel sens.

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Le détail des formules de calcul utilisées par le script RSUFI pour la production des deux types d’indicateurs est téléchargeable sur le site Web du SIH à l’adresse suivante :

http://www.ifremer.fr/SIH-indices-campagnes/

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2.1 Indices de peuplement en estuaire de Seine

Les indices de peuplement obtenus pour l’estuaire de Seine entre 2017 et 2022 sont donnés par le tableau ci-dessous. A chaque indice est associé son Coefficient de Variation (CV = écart-type de l’indice/valeur de l’indice) qui est compris entre 0 et 1 et qui multiplié par 1,96 renseigne sur la fourchette d’encadrement de l’indice au seuil de 5% d’erreur. Plus le CV est proche de 0 et plus la fourchette d’encadrement de l’indice sera étroite.

La moyenne des indices d’abondance globaux annuels s’est élevée depuis le début du suivi à 82,6 millions d’individus, et la moyenne des indices de biomasse à 1 003 tonnes (ce qui est de l’ordre de 3 fois plus qu’en estuaire de Loire dont la surface n’est que légèrement inférieure : 140 km² vs 193,6 km² pour e domaine échantillonné en estuaire de Seine). Les Indices d’abondance annuels ont présenté de fortes variations, s’échelonnant entre ≈ 23 +/- 9,9 millions d’individus (2021) et 162,25 +/- 193,99 millions d’individus (2020 ; écart proche d’un facteur 8). La valeur élevée du CV en 2020 fait qu’on ne peut conclure à une différence significative d’abondance globale entre ces deux années extrêmes. La différence est par contre significative entre l’abondance globale de 2021 (23,6 +/- 10,17 millions d’individus et celle de 2018 (153,86 +/- 96,5 millions d’individus).

En 2022, l’indice global d’abondance s’élève à ≈ 68,4 millions +/- ≈ 55 millions d’individus et l’indice de biomasse à environ 754 +/- 443 tonnes, ce qui est légèrement inférieur (différence non significative) aux valeurs moyennes obtenues depuis 2017. A noter qu’en 2022, les poissons dominent le peuplement avec 88 % de l’abondance totale (60,4 millions d’individus) et 79 % de la biomasse (596 tonnes). Et le peuplement de poissons est lui-même totalement dominé par le sprat Sprattus sprattus dont l’IA est évalué à ≈ 56,8 millions d’individus (soit 94 % du total). Parmi les poissons présentant un indice d’abondance élevé en 2022 il faut aussi citer l’éperlan Osmerus eperlanus (≈ 858 000 individus), le bar Dicentrarchus labrax (557 000 individus), la sardine Sardina pilchardus (≈ 418 000 individus) et le hareng Clupea harengus (≈ 340 000 individus). L’indice d’abondance des crustacés est évalué à 4,7 millions d’individus, ce qui est inférieur à la moyenne (16,3 millions depuis 2017), les trois espèces principales étant la crevette grise Crangon crangon (1,9 millions), l’étrille d’eau froide Liocarcinus holsatus (1,7 millions) et le crabe vert Carcinus maenas (775 000 individus). Les autres espèces largement représentées au sein du peuplement de 2022 sont la moule Mytilus edulis (1,29 millions d’individus), la spisule Spisula sp. (733 000 individus) et l’ophiure commune Ophiura ophiura (367 000 individus).

Les abondances en échinodermes ont été non négligeables en 2018 et 2019, plus faibles lors des autres campagnes (dont celle de 2022). Les abondances en céphalopodes (essentiellement Alloteuthis sp.) ont été significativement supérieures en 2018 et 2019 par rapport à celles des deux autres campagnes, mais non significativement différentes entre elles. En 2022, l’indice d’abondance en céphalopodes s’élève à un peu moins de 400 000 individus, ce qui est inférieur à la moyenne interannuelle (1,45 millions).

En ce qui concerne les biomasses globales, une différence significative apparait entre les années 2017 (501,9 +/- 232,5 tonnes) et 2019 (905,5 +/- 138,25 tonnes). Cette différence trouve son origine à la fois dans une abondance globale plus faible en 2017, ainsi que dans le poids moyen individuel peu élevé (12 grammes contre 20 grammes ; abondance relative élevée en petits pélagiques en 2017). Le poids moyen de 44 g en 2021 « compense » la faible abondance, ce qui a pour conséquence l’absence de différence significative entre les biomasses totales de 2021 et de 2018. Les différences de poids moyens individuels annuels (non significatives) se retrouvent dans les distributions de tailles moyennes, et dans les proportions d’individus de plus de 15, 20 ou 25 cm. En 2022, l’indice de biomasse total s’élève à 754 tonnes (+/- 440 tonnes environ), ce qui est légèrement inférieur à la moyenne depuis le début du suivi (de l’ordre de 1000 tonnes de biomasse +/- 550 tonnes), mais non significativement. En 2022, ce sont les poissons qui représentent à nouveau la principale part de cette biomasse (près de 600 tonnes), suivis par les crustacés (140 tonnes), les autres grands groupes ne contribuant que très peu à l’indice de biomasse.

Les années 2017, 2020 et 2022 sont caractérisées par l’importance des populations de sprats et, dans de moindres mesures, de hareng, de crabes verts et de crevettes grises. Ces fortes abondances d’un petit nombre d’espèces, dominant les peuplements, se traduisent par des indices de biodiversité Delta faibles, inférieurs à 0,7. L’indice le plus faible est obtenu en 2022, du fait de l’importance de la population de sprats. Cette espèce pélagique n’est pas strictement inféodée à l’estuaire, mais y pénètre en bancs denses entre le printemps et l’automne (surtout dans la partie aval), ce qui peut modifier profondément les équilibres au sein de la biocœnose et des chaines trophiques (phénomène identique avec les bancs de harengs), le sprat consommant en quantité du phyto et du zooplancton (dont des œufs et larves d’espèce strictement inféodées à l’estuaire), et représentant une espèce fourrage majeure pour la plupart des carnivores (bars, maquereaux, chinchards…).

Enfin, du point de vue des tailles moyennes, 2022 présente les valeurs les plus basses de la série du fait l’importance de la population de sprats, qui, comme en 2018, amène à une taille moyenne globale équivalente à la taille moyenne des poissons, soit 9,7 cm.

En conclusion, l’estuaire de Seine apparait comme un milieu riche, voire très riche (indice de biomasse de l’ordre de 1 000 tonnes), mais dont les peuplements connaissent de fortes variations d’abondance interannuelles. Ces variations sont dues, selon les années, au développement d’espèces inféodées à l’estuaire (cas du crabe vert, de la crevette grise ou de l’étrille d’eau froide notamment, ainsi que de l’éperlan et du bar), mais aussi et surtout de l’arrivée en migration de petits pélagiques (sprats, harengs et Alloteuthis sp. principalement) qui peuvent devenir majoritaires, voire très largement majoritaires, tant en abondance qu’en biomasse au sein de l’estuaire. Ces trois dernières espèces pélagiques peuvent à elles seules représenter des biomasses de plusieurs dizaines, voire centaines de tonnes supplémentaires de consommateurs primaires/secondaires, et ont très vraisemblablement un impact majeur sur l’écosystème global et ses chaines trophiques, par :

  • consommation de phytoplancton et de zooplancton, dont des œufs et larves de crustacés, de mollusques et de poissons,
  • tout en contribuant également, en tant qu’espèce fourrage, à l’alimentation des prédateurs supérieurs, démersaux ou pélagiques, que sont les bars, merlans, maquereaux, chinchards…, et qui sont également abondants dans l’estuaire.

2.2 Indices de peuplement en estuaire de Loire

Les indices de peuplement déterminés au moyen du script RSUFI à partir des données des campagnes menées en Loire depuis 2016 sont donnés par le tableau ci-dessous.

Les indices d’abondance annuels, globaux et par grandes classes, sont, en moyenne, inférieurs à ceux obtenus en Seine : entre 5,2 et 30,8 millions d’individus au total en Loire (moyenne : 20,5 millions) contre 23,7 à 162,2 millions en Seine (moyenne : 82,6 millions), soit de l’ordre d’un facteur 4 entre les indices d’abondance globaux, alors que les domaines échantillonnés sont respectivement de 140 km² en Loire et 193.6 km² en Seine. Ils apparaissent également inférieurs à ceux obtenus en Gironde où l’indice global moyen d’abondance est de 53,75 millions d’individus (entre 38,5 et 69,6 millions). Mais le domaine échantillonné en Gironde étant nettement plus étendu (863.3 km²), les densités globales moyennes sont supérieures en Loire, de l’ordre de 0,146 millions d’individus par km² contre 0,062 millions d’individus par km² en Gironde. Sur les 20,5 millions d’individus (en moyenne), 13,8 millions sont des poissons (67,5 %), 4,5 millions sont des crustacés (22,2 %), 0,87 million sont des céphalopodes (4,2 %), 0,77 million des échinodermes (3,7 %) et 0,44 million des mollusques autres que céphalopodes (2,1 %), annélides et cnidaires n’étant que rarement échantillonnés. On peut noter que plusieurs indices d’abondance de l’année 2016 sont inférieurs à ceux des années suivantes (indices globaux, poissons, crustacés et échinodermes), et qu’ils présentent des Coefficients de Variation plus élevés (populations moins bien cernées), ce qui trouve très vraisemblablement son origine dans les conditions particulières d’échantillonnage au cours de cette campagne, le fleuve connaissant une importante crue (dite de « retour décennal »).

Les indices de biomasse annuels sont relativement stables, compris entre 202 et 495 tonnes (moyenne sur les 7 années de suivi de 344,7 tonnes), avec des coefficients de variation faibles, compris entre 11 et 20 %. Les poissons représentent près de 76 % de cette biomasse (≈ 261 tonnes) et les crustacés 15,7 % (54 tonnes). Les indices annuels de biomasse des poissons apparaissent relativement stables, compris entre 195 et 337 tonnes. Au contraire, ceux des crustacés et des échinodermes connaissent d’importantes fluctuations, respectivement comprises entre 3 et 101 tonnes d’une part, et 0,4 et 57,1 tonnes d’autre part.

Les indices de biodiversité Delta globaux sont élevés entre 2016 et 2021, communément de l’ordre de 90 %, traduisant des peuplements équilibrés, sans dominance marquée d’une, ou d’un petit nombre d’espèces. L’indices Delta de 2022 se distingue, n’atteignant que 54 % (et 45 % en ce qui concerne les poissons). Ces faibles indices traduisent un déséquilibre populationnel qui trouve son origine dans l’importance exceptionnelle (pour cet estuaire) des captures de sprats en 2022 : 37 737 sprats ont en effet été capturés lors de la campagne 2022 alors que le total des captures enregistrées, toutes espèces confondues, a été de 79 546 individus (les sprats représentent donc 47,4 % de la capture totale). Ce genre de déséquilibre des peuplements, liés à la pénétration d’importants bancs de sprats dans l’estuaire, est fréquent en Seine, mais c’est la première année que nous le constatons en Loire.

L’importance de la capture de ce petit pélagique en 2022 entraine une diminution des tailles moyennes de capture (9,67 cm vs une taille moyenne de 12,15 cm depuis le lancement du suivi) ainsi qu’une baisse des poids individuels moyens (11 grammes en 2022 vs 20 grammes en moyenne depuis le lancement du suivi).

Au final, les indicateurs de communauté obtenus montrent que le peuplement de l’estuaire de la Loire apparait, en moyenne, comme équilibré, avec cependant deux années qui sortent du lot :

  • 2016 car la campagne s’est déroulée au cours d’une crue décennale : les populations de l’estuaire ont vraisemblablement été moins bien cernées que les années suivantes (descente vers l’aval, et pour partie en dehors du domaine échantillonné ?),
  • Et 2022, du fait de l’importance des captures de sprats, assez inhabituelle dans cet estuaire.

2.3 Indices de peuplement en estuaire de Gironde

Les principaux indices de peuplement déterminés au moyen du script RSUFI sont donnés par le tableau ci-dessous.

L’abondance moyenne totale est évaluée à 53,75 millions d’individus, pour un indice moyen de biomasse légèrement inférieur à 2000 tonnes.

L’indice d’abondance de l’année 2022 est de l’ordre de 38,5 millions d’individus, avec un coefficient de variation (CV) faible, de 14 %, soit une fourchette d’encadrement étroite, de l’ordre de 10,5 millions d’individus. C’est le plus faible indice de la série (i.e. depuis 2019), mais sans différence significative avec ceux des autres années. L’indice de biomasse 2022 est évalué à 1 721,9 +/- 1078,0, tonnes, ce qui le place en troisième position de la série, sans différence significative avec ceux des autres années, et proche de la valeur moyenne.

L’indice d’abondance apparait plus stable, moins variable, que dans les deux autres estuaires. Il est compris entre 38,5 (année 2022) et 69,6 millions d’individus (2020) au total. Au contraire, l’indice de biomasse (qui est nettement plus élevé en moyenne que dans les deux autres estuaires, de l’ordre de 2 fois plus qu’en Seine, et de 5 fois plus qu’en Loire) connait des variations interannuelles marquées, passant de 923,6 tonnes en 2020 à 3 269,3 tonnes en 2021 Cette différence se retrouve au niveau des indices de poids moyen : 61 grammes en 2021 contre 13 g en 2020 (facteur ≈ 4,4), ainsi qu’au niveau des tailles (14 cm de longueur en moyenne en 2021 contre 10,2 en 2020, et 26% d’individus de plus de 15 cm en 2021 contre 10% uniquement en 2020).

Les indices de biodiversité Delta sont stables, et élevés (entre 81 et 88% ; 87 % en 2022) quelle que soit l’année, indiquant des peuplements globalement équilibrés, sans dominances majeures d’abondance d’un petit nombre d’espèces par rapport aux autres.

Les peuplements sont constitués de poissons (59,8 % de l’abondance en moyenne, et 65,6 % de la biomasse moyenne), et, dans une moindre mesure de crustacés (18,1 % de l’abondance moyenne totale, et 1,8 % de la biomasse), puis de mollusques non céphalopodes (14,1 % de l’abondance moyenne totale et 1,9 % de la biomasse moyenne), de cnidaires (3,8 % de l’abondance moyenne totale et 28,8 % de la biomasse moyenne totale), de céphalopodes (3,4 % de l’abondance moyenne totale et 1,7 % de la biomasse moyenne totale), et enfin d’échinodermes et d’annélides.

La forte variabilité interannuelle des biomasses apparait attribuable aux poissons dont l’indice de biomasse a atteint 3026 tonnes en 2021, soit ≈ 94% de la biomasse totale du peuplement (tel qu’échantillonné au moyen du chalut NourDem) cette année-là, contre seulement 672,5 tonnes en 2020.